Journaliste, envoyé spécial dans l'ancien Bloc soviétique de 1982 à 2008, Denis Lensel a publié un livre sur l'effort de rapprochement de Jean-Paul II vis-à-vis du monde orthodoxe et post-soviétique : « Nous lui devons la liberté ! La main tendue de Jean-Paul II à l'Est » (Editions Salvator).
Zenit – Certains medias considèrent l'action de Jean-Paul II en direction des Eglises orthodoxes comme un échec…Denis Lensel – Cette opinion est en effet répandue… Vu de Paris, beaucoup de gens ont gardé l'idée fixe que Jean-Paul II n'ayant « pas pu aller à Moscou », son action œcuménique a donc raté… C'est une idée superficielle et réductrice : il a pu se rendre en Roumanie au printemps 1999, en Géorgie en l'an 2000, en Grèce puis en Ukraine, à Kiev, berceau du christianisme slave de l'Est, au Kazakhstan en 2001, puis en Bulgarie en 2002.Et des contacts avec le Patriarcat orthodoxe russe ont eu lieu : deux rendez-vous précis ont été pris entre Jean-Paul II et le Patriarche Alexis II, l'un en septembre 1997 en Hongrie, l'autre en juin 1998 en Autriche. Mais Moscou a annulé ces rencontres au dernier moment. Derrière ces reculs, demeurait la querelle récurrente du « prosélytisme ». L'état-major de la hiérarchie orthodoxe russe reprochait à l'Eglise catholique de pratiquer une sorte de « braconnage spirituel » sur son « territoire canonique ».Zenit – Mais ce reproche n'était-il pas fondé ?Denis Lensel – Après la chute du communisme en 1991 à Moscou, il y a eu des maladresses de groupes chrétiens occidentaux, catholiques ou protestants… Bien intentionnés mais inexpérimentés, certains croyants venus d'Occident ont lancé une soudaine évangélisation, en négligeant deux faits : la persistance de l'héritage chrétien de la Russie malgré les ravages du déracinement marxiste athée. Et l'existence maintenue de l'Eglise orthodoxe russe, certes affaiblie, mutilée, parfois noyautée, mais encore en vie. Cette chrétienté orthodoxe était présente, sortie du creuset de la persécution.Mais Rome n'a jamais conçu le projet absurde de « catholiciser » la Russie après l'effondrement du communisme. Jean-Paul II a vécu sa démarche en frère dans la foi, respectueux des diversités, mais voulant obéir à l'exigence de Jésus-Christ pour la nécessaire unité des chrétiens, « Ut Unum sint, Qu'ils soient Un, afin que le monde croie ! ».Zenit – Pourquoi cette « querelle du prosélytisme » ?Denis Lensel – La « querelle du prosélytisme » s'explique par deux conceptions différentes de l'appartenance ecclésiale : à Rome, on adhère au principe de la liberté religieuse personnelle réaffirmé avec force au concile Vatican II, et à Moscou, on reste attaché à une conception plus exclusive du « territoire canonique » orthodoxe.Zenit – Qu'a voulu faire Jean-Paul II dans l'Est orthodoxe et post-soviétique ?Denis Lensel – Quoique gravement malade et de plus en plus affaibli, Jean-Paul II a effectué un véritable pèlerinage de la réconciliation. Son sacrifice a bouleversé ces pays, où l'on sait le prix du sang et des larmes après le communisme et le nazisme.Zenit – Comment ses interlocuteurs ont-ils réagi ?Denis Lensel – Souvent par des mots de reconnaissance à ce Pape qui a fait tomber les murailles de Jéricho de l'athéisme marxiste à Berlin dès 1989. Dans tous ces pays où Jean-Paul II s'est rendu, de tels mots ont été prononcés, par des intellectuels, des dirigeants politiques et certains ecclésiastiques orthodoxes.En Roumanie en 1999, la Presse enthousiaste salue le rôle de Jean-Paul II dans le cheminement vers la liberté : un homme qui a apporté « une contribution décisive à l'écroulement du communisme », mais aussi « à la renaissance de la foi et à la réunification du monde chrétien ». Une ancienne dissidente estime qu'il « fait partie du petit nombre de ceux qui ont pu modifier de manière irréversible les destinées du monde ».En présence du Patriarche orthodoxe Teoctist, parmi 500.000 fidèles, catholiques et orthodoxes, on scande le mot Unité. Le Pape et le Patriarche bénissent la foule d'un même geste.En l'an 2000 en Géorgie, quoique très réservé à l'idée d'un rapprochement confessionnel, le Patriarche de l'Eglise orthodoxe de Tbilissi, Ilia II, attribue publiquement à Jean-Paul II une « contribution personnelle dans le processus qui a fait tomber le système qui rejetait Dieu dans l'ancienne Union soviétique ».Propos recueillis par Anita S. Bourdin(à suivre)Denis Lensel, « Nous lui devons la liberté ! La main tendue de Jean-Paul II à l'est », éditions Salvator, 214 pages, 19,90 euros.
ROME, Jeudi 25 septembre 2008 (ZENIT.org)