il y a plus de deux ans : il brise un tabou.
Lors d'une conférence de presse donnée à Paris, après l'annonce par Benoît XVI de sa renonciation, ce 11 février 2013, le cardinal Vingt-Trois, président de la Conférence des évêques de France a décrypté le geste du pape et les grandes orientations du pontificat, au siège de la CEF, à Paris. Il était entouré de Mgr Laurent Ulrich et de Mgr Hippolyte Simon, vice-présidents de la CEF. Le modérateur de la conférence était Mgr Bernard Podvin, porte-parole de la CEF.
Et droit et même un devoir
Benoît avait en effet évoqué, dans le livre d'entretien avec Peter Seewald "Lumière du monde" (2010), le droit et le devoir de se retirer de cette charge (p.51). Seewald demande : « On peut imaginer une situation dans laquelle vous jugiez opportun un retrait du pape ? »
La réponse est « Oui, quand un pape en vient à reconnaître en toute clarté que physiquement, psychiquement, et spirituellement i ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit, et, selon les circonstances, le devoir, de se retirer ».
Aujourd'hui, avec cohérence, le pape fait ce qu'il avait « envisagé » à l'époque, souligne le cardinal Vingt-Trois.
Mais ce n’est certainement pas « jeter l’éponge ». Là-dessus aussi, dans sa réponse dans la question précédente, Benoît XVI ne laisse aucun doute.
Seewald demande (p. 50), en faisant allusion au poids du pontificat : « Avez-vous pensé à vous retirer ? » Réponse : Quand le danger est grand, il ne faut pas s’enfuir. » : on se souvient du voyage qualifié « à risque » au Liban en septembre 2013. Le pape ajoute à sa réponse : « Le moment n’est donc sûrement pas venu de se retirer C’est justement dans ce genre de moments qu’il faut tenir bon et dominer la situation difficile. C’est ma conception. On peut se retirer dans un moment calme, ou quand, tout simplement on ne peut plus ; Mais on ne doit pas s’enfuir au milieu du danger et dire : « Qu’un autre s’en occupe ». »
Benoît XVI a attendu, semble-t-il, un « moment calme » : la dernière turbulence datant du procès « vatileaks », mené tambour battant, en octobre dernier.
Mais le cardinal Vingt-Trois n’a pas cité cette première partie de la réflexion du pape, il a préféré souligner les circonstances tout à fait « simples » de cette annonce du pape : une réunion de cardinaux assez ordinaire, pour l’annonce de trois nouvelles canonisations, (qu’il ne présidera donc pas !) et la simplicité de cette annonce : les forces lui font défaut.
Pour le cardinal Vingt-Trois, le pape a en quelque sorte « brisé un tabou », il a « rompu avec plusieurs siècles de pratique », soulignant qu’il est « légitime et utile qu’un pape puisse renoncer à sa charge et se retirer ».
Il considère la décision du pape comme un « acte libérateur », pour le « siècle qui vient » : plus aucun pape ne se sentira « obligé » d’assumer sa charge « jusqu’à sa mort ».
Il dit comprendre que le pape, à bientôt quatre-vingt-six ans, perçoive que le monde va « trop vite », que le rythme de l’existence s’accélère.
Mais pour lui, ce n’est en aucun cas une « abdication » : c’est une décision que le pape vit avec « courage et sérénité ».
Lucidité et gravité
Il souligne aussi qu’il s’agit d’une décision « lucide » : les évêques en visite ad limina ont pu faire l’expérience dans les rencontres et les dialogues de cette « lucidité » et « acuité » intellectuelle et de sa mémoire : le pape parlait français « sans aucune difficulté ». Mais la lucidité et l’acuité s’allient à une moindre « endurance physique », avec des difficultés de locomotion – le pape a adopté une plate-forme mobile pour les longues liturgies – et dans l’expression : le pape parle à voix assez basse.
Le président de la Conférence des évêques de France voit donc dans cette décision « un geste particulièrement courageux » et qui constitue « un événement considérable » – le nombre des media du monde mobilisés autour de cette nouvelle en dit long à ce sujet – un événement « exceptionnel » qui reflète « la personnalité du pape Benoît XVI ».
Mais l’archevêque de Paris souligne un aspect qui touche particulièrement l’Eglise en France : pendant ses huit années de pontificat et pendant toute sa vie antérieure, il souligne avoir fait l’expérience de comment Joseph Ratzinger a tissé des « liens étroits avec la culture française et avec l’Eglise en France ». Il souligne particulièrement cela pendant le concile Vatican II. Il rappelle que le pape est membre de l’Académie des sciences sociales et politiques.
C’est donc « un moment grave » pour la France et l’Eglise de France qui ont en lui un « ami ». Il rappelle aussi que dans les années soixante-dix les théologiens de France s’arrachaient son livre « Foi chrétienne hier et aujourd’hui » (Cerf, 1969) comme « un compendium des grandes vérités de la foi chrétienne ».
Foi et raison, unité, engagement social
Parmi les trois grands thèmes du pontificat, il souligne tout d’abord le dialogue entre foi et raison (discours au Bundestag, ou au Parlement anglais) : il y voit un « thème prioritaire de son investissement pédagogique » comme pape, et admire la « détermination » dont il a fait preuve.
Deuxième grande priorité du pontificat : Benoît XVI a « travaillé à l’unité de l’Eglise », pour – l’archevêque disait hésiter entre les termes – « réduire », « aplanir », « cautériser », « faire disparaître » la rupture de l’unité, notamment « entre les successeurs de Mgr Lefebvre et l’Eglise catholique ».
Pour le cardinal Vingt-Trois, le pape n’a en aucun cas « abdiqué » sa « responsabilité sur l’Eglise universelle, mais il a au contraire « tout fait pour rendre possible une réconciliation ».
Troisième pôle de l’action de Benoît XVI : « l’engagement social des chrétiens » auquel il a consacré son encyclique (Caritas in Veritate : « sur le développement humain intégral dans la charité et la vérité »). Le pape y montre le lien « entre foi et charité » en l’actualisant, poursuit le cardinal Vingt-Trois, car « la foi chrétienne ouvre une perspective nouvelle sur l’organisation de la vie sociale ».
Mais ce pontificat a également été marqué, fait observer l’archevêque de Paris, par la fécondité non seulement du pape mais de l’écrivain, avec les trois volumes sur Jésus de Nazareth, qui font le point sur la recherche théologique et biblique tout en offrant une lecture personnelle. Il signale aussi le livre cité plus haut : « Lumière du monde ».
Humilité du futur pape
Le cardinal français a également évoqué les qualités nécessaire à son successeur en répondant aux questions de la presse humilité – il ne s’agit pas de « se prendre pour le Bon Dieu » – « ouverture d’esprit pour accueillir les différentes cultures » à une époque « paradoxale » qui d’un côté semble « tout niveler », et qui exacerbe ne même temps les « particularismes ». Il faut, estime l’archevêque, un « esprit assez ouvert pour se propulser dans ce maquis ». Il ne s’agit pas seulement d’être intelligent, mais aussi « malin ».
En revanche, il souligne que la nationalité n’est pas décisive : certes, c’était important, un Polonais, mais ce qui a été décisif, c’est la personnalité de Karol Wojtyla. De même pour l’âge : Pie XII, assez jeune a eu un pontificat de presque 20 ans, et Jean XXIII, avec un pontificat de 6 ans a renouvelé l’Eglise avec la convocation de Vatican II.
Ce qui sera décisif c’est une « capacité d’écoute, de communication, de fédération, de développer la communion » dans l’Eglise.
Enfin, à propos du parallèle entre le choix de Jean-Paul II et celui de Benoît XVI, le cardinal de Paris a rappelé que Jean-Paul II – il tient cela du cardinal Lustiger – s’est effectivement posé la question de renoncer à sa charge. Puis il a décidé « en conscience devant Dieu » de poursuivre le pontificat, même malade : il rappelle que le pape a alors enseigné davantage par son rapport à la fin de vie, à la mort, à la souffrance, que dans ses écrits sur la douleur : beaucoup ont été, dans le monde entier, témoins de sa fin de vie. Il a redonné l’espérance aux malades et aux personnes handicapées par son « acharnement à ne pas céder ». Comme Benoît XVI, il a pris cette décision « en conscience devant Dieu ».
Quant à une question sur sa propre éventuelle élection, le cardinal Vingt-Trois a affirmé à plusieurs reprises que ce n’était pas « à l’ordre du jour », invoquant une intuition intérieure qui « permet de sentir ».
Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Nous allons, répond le cardinal Vingt-Trois, « rendre grâce », prier pour « l’influence de l’Esprit Saint » sur les électeurs, et « continuer à vivre ».
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