Arrivé à Rome en 1964, à l’âge de 19 ans, pour poursuivre ses études de philosophie, don Gianazza, sdb, évoque avec enthousiasme les événements conciliaires qui ont profondément marqué sa vocation.
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A tout ceci s’ajoutait la grâce de pouvoir visiter Rome non pas en courant mais de manière programmée. La Rome chrétienne m’attirait et m’intéressait plus que la Rome antique et impériale. La première année, je m’étais proposé tout particulièrement de visiter soigneusement les principaux lieux sacrés liés au christianisme : basiliques, églises, catacombes, monuments, ruines… Partout, je rencontrais le Seigneur et sentais sa présence. J’avais la chance d’avoir quelques bons camarades qui, connaissant bien la ville, m’accompagnaient volontiers et me servaient de guide. J’étais aussi muni d’une carte touristique et d’un guide imprimé. Tous les jeudi après-midi, nous avions quatre à cinq heures à notre disposition pour nous promener. Nous sortions en petits groupes (au moins trois par trois : c’était la norme, mais… ce n’était pas toujours la pratique) et on se fixait quelques itinéraires et quelques destinations. On se mettait d’accord sur les détails : itinéraires, transports, visites, étapes. Le goûter entrait aussi dans le « menu ».
Quelle joie et quel étonnement en visitant la basilique Saint-Pierre pour la première fois, restant là en prière et dans l’admiration ! Et combien d’autres fois y aura-t-il encore ? Et peu à peu, faire étape dans les basiliques mineures et majeures, en contemplant les mystères du Christ, la vie de Marie, les Actes des apôtres, à travers tous les trésors d’art et de beauté conservés dans ces merveilleuses églises et dans tous ces monuments d’architecture. Se succédaient ainsi des visites intéressantes dans tant d’autres églises dédiées à Notre Dame, aux martyrs, aux saints et aux saintes. Et puis cette charge de foi et d’émotion suscitée par les catacombes, porteuses d’un mystère de vie, de mort et de résurrection.
Tout ceci éveillait et augmentait en moi un sens ecclésial fort, une grande vénération et une envie pleine d’admiration pour les martyrs, une émulation stimulée par la vie des saints. Je sentais que l’appartenance à l’Eglise était un grand don de Dieu, qui m’unissait au passé et au futur, à la terre et au ciel, à Rome et au monde, aux saints et aux pécheurs. L’événement conciliaire qui se déroulait précisément pendant ces années ajoutait feu et ardeur à ce « sens de l’Eglise ». Il m’était facile de saisir les quatre caractéristiques fondamentales de l’Eglise : une, sainte, catholique et apostolique, et d’en vivre. Je ne me lassais pas de remercier mon Jésus pour le don immense qu’il m’avait fait d’être un enfant de son Eglise.
Pendant l’été 1965, le l’Athénée pontifical salésien (PAS) a été transféré à son nouveau siège dans la zone de Montesacro, à l’époque dans la rue Cocco Ortu, puis rue Ateneo Salesiano. Une nouvelle année, des études nouvelles, de nouveaux programmes, un nouveau siège avec davantage d’espace ; pour moi, une ardeur nouvelle ! Mon attention pour le concile n’avait pas diminué, au contraire, elle augmentait au fur et à mesure qu’il se révélait à moi dans sa richesse et sa grandeur. C’était véritablement un événement unique !
Le concile précédent, Vatican I, s’était déroulé presque cent ans plus tôt en 1869-1870. Quand aurait lieu le prochain ? Quelle pluie de grâces l’Esprit-Saint était-il en train de donner à l’Eglise avec cette nouvelle pentecôte ? Attentif aux événements conciliaires, je restais désireux de lire les nouveaux documents du concile et les discours du pape. Au fur et à mesure que sortaient les textes, je me faisais un engagement personnel de les lire moi-même plusieurs fois.
Quelle joie de découvrir le mystère de l’Eglise dans sa merveilleuse réalité ! Me sentir un membre vivant, en communion avec les anges et les saints du ciel, avec les âmes saintes du purgatoire, avec mes frères et sœurs de la terre, avec les prophètes, les docteurs, les martyrs du passé, avec tous ceux du présent. Et pouvoir ainsi approfondir dans l’Eglise et vivre avec elle toutes ses merveilleuses réalités : la beauté de la liturgie, la force de l’apostolat, l’élan missionnaire, la dignité et le service pastoral des évêques, le souci de l’unité chrétienne et les efforts en vue de celle-ci, la lumière sur les Eglises orientales, l’estime pour les religions et le dialogue avec elles, la radicalité de la vie consacrée, l’insertion chrétienne dans toutes les réalités mondaines pour les imprégner du ferment du Christ… La grâce de Dieu opérait de sorte que tous les thèmes des documents conciliaires trouvaient en moi un esprit accueillant, un cœur vibrant et un écho profond. Ils me donnaient beaucoup de courage et d’enthousiasme pour vivre en plénitude ma vie chrétienne et ma consécration religieuse.
Je me souviens que pendant ma seconde année de philosophie (1965-1966), dans le train qui m’amenait de la gare de Termini à Frascati (Capocroce) pour la rencontre dominicale, avec deux autres camarades étudiants, je me suis mis à parler du concile avec une jeune femme assise en face de moi. Je ne sais pas comment la conversation a démarré. Peut-être, me voyant un livret à la main, m’a-t-elle demandé ce que je lisais. Peut-être est-ce moi (un « petit prêtre » pour elle) qui ai rompu le silence. Et voici que, je ne sais quel document conciliaire récemment publié en main, je me mis à parler de la beauté du sacerdoce des fidèles, commun à tous les chrétiens, et de l’apostolat des laïcs, un engagement qui ne revenait pas seulement aux prêtres mais à tout chrétien. J’avais conscience de parler avec enthousiasme et que cette femme m’écoutait avec intérêt ou peut-être avec curiosité, apparemment plus impressionnée par mon ton convaincu et enthousiaste que par ce que je disais et qu’elle comprenait.
Que dire alors de l’Année de la foi ? Pour le centenaire du martyre des saints Pierre et Paul (68 après J.-C.), le pape Paul VI avait composé et prononcé un étonnant Credo du Peuple de Dieu et il avait proclamé l’année 1967-1968 « Année de la foi ». Je l’ai pris comme un engagement personnel fort et pour moi ce fut une motivation et une occasion d’approfondir ma foi, dans son contenu doctrinal mais surtout comme un attachement au Dieu révélé, au Père, au Fils et à l’Esprit-Saint. Je méditais des passages particuliers de la Bible, je lisais des livres ou des ouvrages à ce sujet ; mais surtout je cherchais à cultiver une confiance totale dans le Père, une amitié intime avec Jésus, un amour intense de l’Esprit-Saint. Les miracles ne me paraissaient pas du tout impossibles : « Pour Dieu tout est possible » (Mt 19, 26). Et je m’adressais souvent à Jésus en lui disant : « Je crois, mais augmente en moi la foi » (Mc 9, 23).
Quand je le pouvais, je participais très volontiers aux messes présidées par le Saint-Père, en la basilique vaticane ou dans d’autres basiliques romaines. Lorsque j’écoutais les homélies du pape Paul VI, j’étais littéralement pendu à ses lèvres. J’étais attiré par la profondeur de sa pensée, la clarté de son exposition, sa vision prophétique, la beauté des contenus. Mais c’était surtout son souffle qui me touchait, avec ce je ne sais quoi de mystique et de chaleureux dans le ton de sa voix, d’invitant et de pénétrant dans sa façon de proposer les vérités évangéliques, d’exhortant dans sa façon de suivre les pas du divin Maître. Je sentais que tout le concile résonnait dans ses sermons et battait dans son cœur.
L’Année 1966 a aussi été l’année pendant laquelle j’ai vraiment découvert la Bible ; je l’ai découverte comme une lettre d’amour de Dieu pour nous, pour moi. Cette année-là, les éditions Saint-Paul avaient lancé le projet de la « Bible à mille lires » – une édition très peu chère -, pour la mettre à la disposition et à la portée du plus grand nombre de lecteurs, plutôt que d’acquéreurs. Ce fut un formidable succès éditorial. Moi aussi, petit poisson, j’ai mordu à l’hameçon et je me suis acheté ma Bible : on m’avait envoyé de chez moi 1000 lires dans une enveloppe. C’était ma première bible personnelle, et je l’ai gardée encore de nombreuses années. Pourtant, cela n’a pas été très facile de l’avoir. En effet, selon la mentalité de l’époque, je n’étais pas supposé en avoir une en tant qu’étudiant, parce que j’étais seulement « philosophe » et pas encore « théologien » ; je n’étais pas supposé en avoir une en tant que « religieux » : la permission de me la procurer ne m’a pas été donnée facilement, pour cette raison que je n’étais pas encore en mesure de la lire avec l’intelligence requise et qu’elle ne me serait donc pas profitable. En somme, elle ne coûtait pas cher, mais elle m’a beaucoup coûté ; mais surtout, je l’ai bien rentabilisée en l’utilisant souvent.
Tout ce substrat et ces substances nourrissantes ont pénétré le champ de ma vie de manière stable. Le concile a imprégné ma terre spirituelle comme une pluie bienfaisante, lente, régulière et continue. Pendant mes années d’études théologiques, que ce soit dans le cycle institutionnel de quatre ans ou pendant les quatre années de préparation à la maîtrise et à la thèse, les textes du concile ont été pour moi une source riche et un point de référence constant. J’ai lu beaucoup de livres et je les ai rarement relus ; mais les documents conciliaires, en particulier certains d’entre eux, je les ai relus maintes et maintes fois. Et je les ai aussi considérés, avec la Bible et la Tradition, comme la base de mon enseignement, et parallèlement je les ai toujours indiqués comme la source et le témoin de la théologie d’aujourd’hui.
J’ai toujours remercié le Seigneur qui a permis que mes années romaines soient vécues sous l’influence de Vatican II et qu’elles soient pénétrées par cet événement. Le concile m’a véritablement marqué. Il a donné un ton et une orientation à toutes mes études en vue du sacerdoce, puis lors de ma spécialisation en dogmatique. Le concile a formé en moi un esprit ecclésial, me faisant considérer l’Eglise comme le corps mystique du Christ. Comme prêtre, pasteur, éducateur et enseignant, j’ai toujours cherché à garder cette mentalité conciliaire, dans toutes ses dimensions de fidélité et de renouveau.
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