Quel est le contexte immédiat et le contenu du document ? « Daté du 15 août 2011, explique EDA, le rapport a été envoyé par le nonce en poste à Tokyo est Mgr Alberto BottaridelCastello. Italien âgé de 69 ans, Mgr Bottari réside alors au Japon depuis six ans et s’apprête à quitter ce pays pour prendre ses nouvelles fonctions de nonce en Hongrie. Ainsi que le relève le vaticaniste Alessandro Speciale dans une dépêche publiée ce 4 juin par l’agence Ucanews, Mgr Bottari, qui a effectué l’essentiel de sa carrière en Afrique et ne connaît le Japon que depuis son arrivée dans ce pays en 2005, s’interroge, dans ce rapport de fin d’activité, sur les raisons qui font qu’en apparence au moins, les Japonais demeurent rétifs à l’Evangile et sur les raisons qu’il perçoit du conflit opposant l’épiscopat japonais au Chemin néocatéchuménal, dont la présence dans un diocèse du Shikoku soulève des difficultés depuis des années ».
Les observations du nonce
Le rapport du peuple japonais à l’Evangile se trouve ainsi au cœur des préoccupations du nonce : « Pour Mgr Bottari, qui a abordé l’Extrême-Orient avec l’œil neuf d’un diplomate coutumier d’autres civilisations, une interrogation demeure sans réponse : comment se fait-il que la Corée et le Japon, deux pays appartenant à la même sphère culturelle, présentent des visages si différents en matière de présence chrétienne ? Malgré une histoire quadri-centenaire, les catholiques japonais ne représentent guère plus de 0,5 % de la population de leur pays, le nombre total chrétiens n’étant pas tellement supérieur, tandis qu’en Corée, les chrétiens forment un tiers de la population (10 % de catholiques et 20 % de protestants environ). « Durant ces années passées au Japon, écrit le représentant du Saint-Siège à Tokyo, je me suis souvent posé cette question : ‘Comment se fait-il que cet univers extraordinaire reste si éloigné de l’Evangile ? Pourquoi n’y a-t-il seulement que 500 000 catholiques parmi les 128 millions de Japonais ?’ ». »
Le document reflète les réflexions mûries du nonce qu’il juge utile de communiquer à qui lui a confié cette mission : « A l’adresse de ses supérieurs à la Secrétairerie d’Etat, explique EDA, le nonce synthétise la réponse qu’il a élaborée au fil des multiples conversations qu’il a eues avec les évêques japonais, des membres du clergé, des missionnaires étrangers et des laïcs japonais. « Le Japon possède une noble culture, une histoire glorieuse [et] une identité nationale forte, intrinsèquement liée à certains symboles (tels que l’empereur) et certaines expressions religieuses (le shintoïsme et le bouddhisme). Dans ce contexte, se convertir au christianisme, c’est rompre avec tout cet univers, c’est apparaître (et aussi ressentir profondément dans sa propre personne) comme étant devenu ‘moins japonais’ », écrit Mgr Bottari, qui poursuit en expliquant que ce sentiment d’appartenance nationale très fortement ancré donne à chaque Japonais une attitude particulière face aux influences venues de l’étranger ».
Il a aussi observé ce peuple qu’il estime: « Le nonce écrit ainsi que les Japonais « sont ouverts et curieux », qualités qui leur permettent « d’intégrer ce qui est nouveau à leur propre univers culturel » mais sans que jamais « ils ne souhaitent quitter cet univers qui est le leur ». Au point, estime Mgr Bottari, que « l’on peut penser que chacune des conversions à l’Evangile peut être considérée comme un quasi miracle ».
L’inculturation en question
Pour EDA, surtout, le nonce épingle l’amalgame souvent fait entre Occident – corrompu – et christianisme : « Dans un tel environnement, le fait que le catholicisme soit associé et perçu comme un phénomène occidental ne contribue pas à l’évangélisation, analyse encore le diplomate, qui ajoute que certaines images véhiculées par les médias n’aident pas la tâche des missionnaires. Il cite notamment des images liées à la violence, la corruption ou bien encore le matérialisme venues d’Occident qui rendent encore un peu plus difficile l’acceptation de la religion chrétienne au Japon dans la mesure où elle est associée à celles-ci ».
EDA analyse aussi la réaction face à un mouvement ecclésial jusqu’ici très inculturé en Occident : « Le nonce poursuit en expliquant que ce préalable culturel est, selon lui, ce qui permet de comprendre pourquoi les évêques japonais sont en conflit depuis de si nombreuses années avec le Chemin néocatéchuménal, communauté nouvelle d’origine espagnole présente dans le diocèse de Takamatsu, au Shikoku. « De ce que nous pouvons en juger, ils (le Chemin néocatéchuménal) viennent ici et appliquent à la lettre une méthode qui est apparue et a été développée en Europe, sans daigner l’adapter à l’univers local dans lequel ils se trouvent. Parmi ceux qui sont ici au Japon, j’ai retrouvé le même style que j’avais rencontré au Cameroun, lorsque j’y étais comme missionnaire il y a vingt ans : les mêmes chants accompagnés à la guitare, les mêmes expressions, les mêmes catéchèses, des éléments imposés plutôt que proposés », écrit le nonce (2). Pas étonnant dès lors, poursuit-il, que « tensions, incompréhensions et réactions » abondent et que « dans la mesure où ils sont perçus comme n’étant pas très ouverts au dialogue, ils se heurtent à des refus en bloc ». »
Mgr Bottari conclut, indique EDA, en écrivant que si « les intentions et la bonne volonté » des membres du Chemin néocatéchuménal sont « admirables », ils pèchent par « défaut d’intégration dans la culture locale ». Il ajoute : « A mon humble opinion, c’est ce que les évêques japonais demandent : retirer les habits européens pour présenter le cœur du message d’une manière qui soit purifiée et proche des gens. »
Discréditer et diviser
Mais qu’est-ce qui a pu motiver la publication de ce document plus que tel autre ? La question est légitime. Qu’est-ce que l’on cherche ? Une rencontre harmonieuse entre le Japon et l’Evangile ? On peut craindre au contraire que ce que vise la publication de ces documents soit de discréditer des mouvements comme le Chemin néocatéchuménal qui, que cela plaise ou non, que l’on ait ou non des affinités avec sa sensibilité et son style, appartient aux forces vives de la nouvelle évangélisation. Il était encore visé par une publication des 3 et 4 juin.
Rien de "nouveau"
Il est peut-être significatif aussi que lorsqu’un quotidien italien publie des nouveaux documents le dimanche 3 juin, à Milan, un million de personnes offrent à Benoît XVI, au terme de la VIIe Rencontre mondiale des Familles, une « ovation debout » de plusieurs minutes à laquelle il n’a pas pu se soustraire parce que la célébration n’était pas finie : le pape, très Allemand en cela, esquive habituellement les acclamationsprolongées. Que visait-on par cette publication ? Gâcher la joie de la grande fête des familles ? Mais qui l’avait lu le quotidien avant de se rende à la messe présidée par Benoît XVI ?
Le porte-parole du Saint-Siège, le P. Federico Lombardi, s’est exprimé sur ces publication lors d’une rencontre avec la presse, dimanche, 3 juin, à Milan, à l’issue de la célébration de Bresso avec les familles du monde.
Il constate qu’il n’y a pas de « nouveauté », que ces «documents « ne sont pas les derniers » : il n’est pas « surpris » si d’autres sont publiés au cours des semaines à venir : « Qui a reçu cette grande quantité de documents se les joue avec ses stratégies et ses façons de faire, pas avec l’intention de faire tout en une seule fois et de nous laisser tranquille ».
Sérénité et espérance
Se refusant à commenter le contenu des documents, il a précisé : « Vous me demandez si je suis étonné et préoccupé ? Non ! »
Quant au pape, a-t-il ajouté, il est « serein », « content de ces journées », de cet « événement pas ordinaire », mais « grand, international, à l’horizon mondial, beau et intense ». Le pape est aussi, dit-il, aux« manifestation d’amour et de sympathie ».
Il ajoutait : « Le pape connaît bien les problèmes de l’Eglise et ne s’effraie pas de cela : c’est une personne de foi, et le roc sur lequel notre foi s’appuie : il n’est pas mis dans « l’incertitude » par les difficultés que l’on peut rencontrer et qu’il cherche à affronter avec sérénité. Ces journées ont été très positives et encourageantes. Le pape cherche avec élan et espérance à affronter les autres problèmes ».
NOTES de EDA :
(1) Le 19 mai dernier, le journaliste italien GianluigiNuzzi a publié un ouvrage intitulé : Sua Santita, le carte segrete di Benedetto XVI (‘Sa Sainteté, les papiers secrets de Benoît XVI’), révélant des télégrammes diplomatiques chiffrés et des lettres personnelles adressées au pape, provoquant ainsi un séisme au Vatican, où la gendarmerie vaticane et des cardinaux enquêtent pour retrouver les auteurs de ces « fuites », baptisées « Vatileaks » par la presse internationale. Les documents révélés par Sua Santita portent sur différents sujets, plus ou moins centraux quant aux enjeux du gouvernement de l’Eglise universelle, dont ce rapport que le nonce apostolique au Japon a rédigé le 15 août 2011.
(2) Les Vatileaks se poursuivent au-delà de la publication du livre de GianluigiNuzzi. Le 3 juin 2012, le quotidien La Repubblica a publié une nouvelle lettre. Dans ce courrier daté du 16 janvier 2012, le cardinal Burke, préfet du Tribunal suprême de la signature apostolique, s’adresse au cardinal Tarcisio Bertone, Secrétaire d’Etat, pour s’étonner du projet d’approbation des pratiques liturgiques du Chemin Néocatéchuménal. Etant lui-même membre de la Congrégation pour le culte divin, également en charge de ce dossier, le cardinal américain écrit au cardinal Bertone sa « stupeur » de ne pas avoir été consulté. A ses yeux, une telle mesure « ne semble pas cohérente avec le magistère liturgique du pape ».
Le 4 juin, la même Repubblica reproduit un fac-simile de cette même lettre mais portant cette fois une mention manuscrite datée du 20 janvier 2012. De sa main, le pape Benoît XVI écrit ces quelques mots : « Retour au cardinal Bertone, invitant le cardinal Burke à traduire à la Congrégation pour le culte divin ces observations très justes »(source : La Croix).
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