« Eglises d'Asie » (EDA), l'agence des MEP, publie cette enquête sur le paroissien de Côn Dâu, au Vietnam, battu à mort par la police. Les premiers récits et témoignages sur la mort de M. Nguyên Thanh Nam, paroissien de Côn Dâu battu
à mort par la police le 3 juillet 2010 (voir la dépêche à la rubrique « Vietnam » du présent bulletin), n'ont pas permis de préciser très clairement les circonstances exactes de ce drame, sans doute à cause de l'émotion et surtout des pressions exercées sur la population par la Sécurité. Mme Ta Phong Tan, une militante pro-démocratique, a entrepris de recueillir, avec beaucoup de rigueur, les divers témoignages proposés par les blogs et les journaux en ligne. Son texte a paru sur le journal en ligne Thoi Bao. Eglises d'Asie le traduit ci-dessous pour enrichir la documentation en langue française sur cette affaire. Nous avons recherché les adresses Internet de chacun des textes cités et les avons indiqués en note.
La première nouvelle publiée a laissé le lecteur passablement bouleversé et effrayé. Elle a été mise en ligne sur le blog Mylinhng (1), le 3 juillet 2010, à 9h24. Selon ce blog, un fidèle de la paroisse de Côn Dâu (Da Nang), M. Nguyên Thanh Nam, âgé d'environ 40 ans, a été convoqué par la police pour interrogatoire, frappé et maltraité très brutalement, ensuite libéré et renvoyé chez lui. Dans la soirée, vers 10h00, les agents de la Sécurité sont de nouveau revenus chez lui. A leur arrivée, Nam s'est enfui mais il a été poursuivi par la police, rattrapé et obligé de s'agenouiller à terre sans pouvoir se relever. Son épouse et ses enfants le voyant ainsi, se sont également mis à genoux pour supplier la police d'épargner la vie de Nam. Les agents de la Sécurité ont continué de le frapper. En fin de compte, ils l'ont relâché en l'avertissant que, le lendemain, il devrait se présenter au siège de la Sécurité pour y poursuivre son interrogatoire. Nam a ensuite souffert toute la nuit et s'est éteint dans la matinée. Il avait déjà été frappé et blessé grièvement le 4 mai, lors des obsèques de Mme Dang Thi Tan.
Le lendemain, 4 juillet 2010, Radio Free Asia (2) a fait entendre les interviews d'un certain nombre de personnes habitant sur les lieux à propos de cet événement. Les personnes interrogées se sont montrées effrayées par les pressions exercées sur elles par les autorités de Da Nang. Aucune d'entre elles n'a voulu se montrer totalement affirmative. Selon Radio Free Asia, la Sécurité encercle Côn Dâu, fait pression sur la population et brutalise férocement tous ceux qui ont participé au cortège funéraire de Mme Tân, le 4 mai. Ce jour-là, plus de soixante personnes avaient été amenées au poste de police. Bon nombre d'entre elles ont ensuite été libérées mais onze sont encore en prison. La Sécurité continue d'arrêter les participants du cortège qui se sont opposés aux agents de la Sécurité. Ils sont appelés au poste de police et sont frappés au cours de l'interrogatoire. La population du hameau est menacée. Elle a reçu l'ordre de ne pas prendre contact avec les gens de l'extérieur. De nombreux numéros de téléphone que les journalistes de Radio Free Asia pouvaient joindre autrefois, sont maintenant fermés ou inaccessibles. Il y a cependant encore des gens qui disent la vérité, mais avec beaucoup d'appréhension.
Deux personnes de la région ont déclaré : « Nous avons entendu dire que le médecin avait ordonné un examen post mortem, et que la famille aurait refusé. Avant de mourir, la victime aurait vomi des matières sanguinolentes et du sang aurait coulé de ses oreilles. Nous ne savons pas comment il est mort, mais lorsqu'on l'a déshabillé, son corps et ses bras étaient meurtris. La population a aussi rapporté que M. Dao, le cousin de M. Nam, qui avait été plusieurs fois, convoqué avec ce dernier par la police pour interrogatoire, avait organisé une cérémonie funéraire et demandé à la population de venir prier pour son cousin. Il a été brutalement interrogé par la police et a craint de subir le même sort que son cousin. Il s'est évanoui et a été transporté aux urgences de l'hôpital. On est sans nouvelles de lui ».
Ce même 4 juillet, les journaux officiels ont tous publié (3) une information de l'agence de d'information officielle du Vietnam, Vietnam News Agency (Thông tân xa Việt Nam, TTXVN) affirmant que « personne n'a[vait] été frappée à mort par la Sécurité de Da Nang ». En voici le texte : « Le 4 juillet, un certain nombre de médias étrangers ont annoncé que la Sécurité de Da Nang avait frappé à mort un paroissien de Côn Dâu, M. Nguyên Thanh Nam. Réagissant à cette information, le 6 juillet, le Bureau des Affaires religieuses de la ville de Da Nang a affirmé à notre agence que M. Nguyên Thanh Nam (né en 1967, résidant au numéro 23 du quartier de Hoa Xuan, arrondissement de Cam Le, ville de Da Nang), a été découvert mort chez lui, par sa famille, à 13h30, le 3 juillet. Après son décès, la famille a déclaré aux autorités locales qu'il était mort d'une attaque cérébrale. On sait par ailleurs que certains des ancêtres de Nam ont été sujets à des attaques cérébrales. Mais on ne se souvient pas de gens qui en soient morts ».
Une dépêche du 7 juillet 2010, mise en ligne sur le site des rédemptoristes vietnamiens (4), informait à son tour que, le 3 juillet 2010, un fidèle de la paroisse de Côn Dâu, M. Nguyên Nam, serait mort à la suite de brutalités qui l'avaient conduit à ne plus pouvoir manger ni boire.
Un collaborateur (de VietCatholic News), Thomas Viêt, a rapporté (5) qu'il avait téléphoné à la Sécurité de la ville de Da Nang pour demander le motif du décès de M. Nam. La première fois, on lui a répondu que c'était une attaque cérébrale. La seconde fois, un agent lui a déclaré ne pas connaître clairement la cause, et a ajouté que, la famille n'ayant pas porté plainte, il n'y avait pas de raison que quelqu'un de Saigon vienne fourrer son nez dans cette affaire ! Insatisfait de cette réponse, le collaborateur a appelé de nouveau et a été informé par l'agent de service que la famille de Nguyên Nam avait déclaré que Nam avait été victime d'un dérangement mental qui l'avait conduit à ne plus s'alimenter et donc à mourir. Selon les personnes qui le connaissaient, Nguyên Nam était un homme robuste, de forte taille, exercé à la lutte. Il venait d'atteindre la quarantaine (…) (6).
Un blog intitulé traisongtien (7) a publié un billet signé « la population pauvre de Côn Dâu ». En voici certains passages plus significatifs :
« Les gens du peuple ne savent que piocher la terre, vendre au marché leur production de légumes pour nourrir leur famille. Les fidèles de la paroisse vivaient simplement. Matin et soir, ils se rendaient à l'église pour prier afin que tous les hommes sur cette terre vivent en paix. Ils étaient loin de se douter que leur paroisse allait être détruite pour satisfaire les appétits égoïstes des autorités de Da Nang, ignorant des réalités humaines (…). Aujourd'hui, la population doit être expulsée de chez elle, pour que des étrangers viennent résider dans cette belle contrée, en payant très cher. Le bon peuple, lui, est persécuté (…). Ils ont utilisé leur pouvoir pour nous obliger à nous soumettre à leurs arrangements. Nous n'avons pas eu le droit de choisir, y compris les activités religieuses dans la paroisse. Nous, les gens du peuple, nous avons été arrêtés ; nous avons été frappés et maltraités férocement par la police qui exécutait les ordres sans humanité de Nguyên Ba Thanh.
Vous nous avez frappés ! Nos femmes portent encore les traces violettes de vos coups. Au poste de l'arrondissement, vous avez utilisé des matraques électriques. Avez-vous eu pitié d'elles lorsque, en votre présence, elles demandaient du sel à leurs compagnes pour en enduire leurs ecchymoses ? Vous avez obligé tous les fidèles arrêtés à se reconnaître criminels sous peine de continuer à être maltraités. Qui n'aurait pas signé cette reconnaissance ? Mais après cette signature, nos bourreaux continuaient à frapper puisque nous étions des criminels ! Après nous avoir battus, ils nous ont recommandé de bien nous souvenir de leur visage pour que nous puissions nous venger… Non, je ne doute pas qu'ils aient frappé jusqu'à la mort Nguyên Thanh Nam, un enfant de notre paroisse. Où est donc leur conscience ?
Aujourd'hui, les fidèles ont fermé les portes de leur maison. Nous n'osons pas recevoir nos amis. Nous n'osons même pas rendre une dernière visite à Nguyên Thanh Nam. Comment le faire alors que vous entourez sa dépouille 24 heures sur 24, sans nous laisser approcher ! Ces jours-ci, les agents de la Sécurité avec leurs fusils sont partout dans la paroisse de Côn Dâu. Les fidèles ne savent plus à qui recourir. Ils espèrent seulement que leur cri sera entendu de quelqu'un qui n'est pas sensible à l'appât de l'argent. Mais ce type de personne est bien rare chez les autorités du Vietnam d'aujourd'hui. « Il est plus facile de passer par le chat d'une aiguille que de trouver un cadre communiste non corrompu. »
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